Les limites de la démocratie directe : depuis quelques années, ce système a produit des résultats de plus en plus controversés
Par | Le 24/04/2018 | Commentaires (0)
La particularité de la démocratie suisse est que le peuple garde en permanence un contrôle sur ses élus, car la Suisse est une démocratie qui peut être qualifiée de semi-directe, dans le sens où elle a des éléments d'une démocratie représentative (élection des membres des parlements ainsi que des exécutifs cantonaux) et d’une démocratie directe. En effet, en Suisse, le corps électoral dispose de deux instruments qui lui permettent d’agir sur un acte décidé par l’État : il s’agit du référendum, qui peut être facultatif ou obligatoire, et de l'initiative populaire qui est le droit d'une fraction du corps électoral de déclencher une procédure permettant l’adoption, la révision, ou l’abrogation d'une disposition constitutionnelle.
Le référendum facultatif permet de remettre en cause une loi votée par l’Assemblée fédérale. Il est facultatif car il nécessite la récolte de 50 000 signatures en l’espace de 100 jours pour qu’il aboutisse à une consultation populaire. Si tel n’est pas le cas, la loi est considérée comme adoptée. Lors de la votation, seule la majorité de la population est prise en compte. Le référendum obligatoire impose, comme son nom l’indique, automatiquement une consultation populaire dans les cas prévus par la constitution fédérale. Il implique la double majorité de la population et des cantons.
Qu'est-ce que la démocratie directe (ou démocratie participative) ?
La démocratie participative est une forme de partage et d'exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique. On parle également de « démocratie délibérative » pour mettre l'accent sur les différents processus permettant la participation du public à l'élaboration des décisions, pendant la phase de délibération. La démocratie participative ou délibérative peut prendre plusieurs formes, mais elle s'est d'abord instaurée sur le terrain de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, avant de s'étendre dans les champs de l'environnement. Dans ces cadres, les associations jouent un rôle central en tant qu'interlocuteurs pour les autorités publiques.
En Suisse, le peuple participe largement aux décisions politiques sur le plan fédéral. Tous les citoyens suisses disposent du droit de vote dès l’âge de 18 ans. La population se prononce quatre fois par année sur une quinzaine d’objets en moyenne. Au cours des dernières décennies, le taux de participation aux votations a été, en moyenne, supérieur à 40%. En plus du droit de vote, les citoyens ont la possibilité de faire valoir leurs exigences aux travers de trois instruments qui constituent le noyau de la démocratie directe: l’initiative populaire, le référendum facultatif et le référendum obligatoire.
Le degré de satisfaction de la population suisse face à ce système politique, qui permet aux citoyens de faire contrepoids et office de pression à l'égard de l'exécutif et des partis politiques, a toujours été élevé et avoisine les 80 %. Toutefois il entraîne une certaine lenteur des réformes politiques, due en particulier à la « menace référendaire » que peut brandir toute organisation en désaccord avec une proposition de loi.
Initiative populaire
L’initiative populaire permet aux citoyens de proposer une modification ou une extension de la Constitution. Sa force est de susciter ou de relancer le débat politique sur un thème précis. 100,000 signatures doivent être récoltées dans un délai de 18 mois pour que l’initiative soit soumise au vote populaire. Les autorités peuvent opposer un contre-projet à l’initiative, dans l’espoir que le peuple et les cantons donnent la préférence à celui-ci.
Référendum facultatif
Le référendum facultatif permet aux citoyens de demander qu’une loi votée par l’Assemblée fédérale soit soumise au vote populaire. 50,000 signatures doivent être récoltées dans les 100 jours qui suivent la publication de la loi pour passer devant le peuple.
Référendum obligatoire
Le référendum est obligatoire pour toute modification constitutionnelle décidée par le Parlement, ce qui signifie que le peuple est obligatoirement consulté. L’adhésion de la Suisse à certaines organisations internationales est également soumise au référendum obligatoire
Prenant exemple sur la Suisse, certaines personnes, groupes de personnes ou parti politique prétendent que le Pouvoir sera remis aux Citoyens et que ceux-ci pourront alors prendre les rênes du Québec, sans aucune autre complication, ni limitation. C'est faire fi de la réalité !
Tout d'abord, dans le cadre d'une initiative populaire, 100,000 signatures doivent être récoltées dans un délai de 18 mois, alors que pour un référendum facultatif, 50,000 signatures doivent être récoltées dans les 100 jours qui suivent la publication de la loi. Cela signifie qu'il faudra — dans un premier temps — surpasser ce défi qui est de taille. La votation populaire est très ancrée dans les moeurs helvétiques depuis le XVe siècle, ce qui n'est pas du tout le cas au Québec.
La politique en Suisse est celle d'un État fédéral comportant trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Les 26 États fédérés cèdent une partie de leur souveraineté à l'État fédéral. La politique interne respecte la séparation des pouvoirs. Elle répond à la nécessité de recherche de consensus liée aux diversités régionales et linguistiques, par une représentation équilibrée au sein des institutions.
Le pouvoir législatif est exercé par l’Assemblée fédérale, qui est formée de deux chambres : le Conseil national (200 membres), formé des représentants du peuple, et le Conseil des États (46 membres). Au Conseil national, le nombre de sièges par canton est proportionnel à sa population. Les membres du Conseil national sont élus pour 4 ans, tandis que le mandat des membres du Conseil des États dépend du droit cantonal.
Le pouvoir exécutif est exercé par le Conseil fédéral, formé de 7 membres (conseillers fédéraux), et de l’administration fédérale qui lui est subordonnée. Les membres du Conseil fédéral sont élus pour 4 ans par l'Assemblée fédérale, qui, en règle générale, reconduit les candidats sortants si ces derniers désirent poursuivre leurs fonctions.
Le Conseil fédéral fonctionne selon le principe de collégialité, ce qui signifie que les décisions sont prises le plus possible par consensus. Si tel n’est pas le cas, un vote a lieu parmi les 7 conseillers fédéraux. Selon ce principe, ceux qui s’opposent à une mesure qui est adoptée par le collège doivent tout de même défendre le projet au nom de celui-ci. Mais ce principe a connu quelques distorsions ces dernières années, notamment lors de campagnes précédant des votations populaires : un précédent plus ancien étant le refus de Kurt Furgler (PDC) de défendre la loi légalisant l'avortement devant le peuple pour des raisons de conscience, ce qui n'a pas empêché le souverain de l'adopter.
Un président de la Confédération est élu pour une année parmi les conseillers fédéraux par l'Assemblée fédérale48. Son rôle est principalement symbolique et médiatique. Traditionnellement, les conseillers fédéraux sont élus président chacun à leur tour en fonction de leur ancienneté. Le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux fédéraux.
Les limites de la démocratie directe
Si le système politique fait l'objet d'une large adhésion auprès des citoyens suisses, il a aussi ses détracteurs. Depuis une quinzaine d'années, le nombre d'initiatives populaires a connu une croissance exponentielle. En effet, si elles avaient au départ pour objet de permettre à des citoyens ne se sentant pas représentés par les partis politiques de proposer des lois, ces derniers se sont emparés de cette possibilité pour séduire les électeurs et mener une "campagne permanente".
Depuis quelques années, la démocratie directe a produit des résultats de plus en plus controversés. Le droit d'initiative, une idée noble à l'origine, est devenu un outil de marketing politique. « La plupart émanent désormais de partis politiques et de lobbys, qui ont les moyens matériels, humains et, surtout, financiers de récolter les paraphes nécessaires », explique Ralph Kundig, qui a lancé une initiative pour l'instauration d'un revenu de base inconditionnel (rejeté à 76,9%, en 2016) en faisant appel à du financement participatif.
Dans les années 1990, l'Union démocratique du centre (UDC), un parti populiste dont le chef de file est l'industriel richissime Christoph Blocher, s'est engouffrée dans la brèche en multipliant les initiatives, à l'approche des élections, sur ses thèmes de campagne xénophobes et anti européens. « L'UDC a un peu dénaturé le mécanisme pour en faire un instrument d'opposition », reconnaît Yves Nidegger, député populiste de Genève.
Fathi Derder, député du Parti libéral-radical vaudois, déplore que toute réforme du système soit impossible: « On devrait pouvoir avoir un débat sur une limitation de la démocratie directe, qui devient un facteur d'instabilité, alors que c'était l'inverse jusqu'à présent. Mais, si vous le dites, vous perdez la moitié de vos électeurs! » Depuis vingt ans, 8 fois sur 10, les électeurs ont suivi les recommandations du Parlement et du Conseil fédéral, qui peut aussi proposer un contre-projet.
Concernant les élections françaises, Sarah Halifa-Legrand écrivait : « Le pouvoir au peuple, c’est le fantasme absolu de la campagne 2017. "49-3 citoyen" de Benoît Hamon, "référendum d'initiative citoyenne" de Jean-Luc Mélenchon, ou encore "référendum d’initiative populaire" de Marine Le Pen... Ils rêvent de démocratie directe. De "votations" à la française. Comme si ouvrir grand les portes du Parlement allait pouvoir sauver notre démocratie moribonde. C’est le mythe qui nous vient de l’autre côté des Alpes. » (L'Obs, 9 avril 2017)
En Suisse, tous les partis politiques recourent parfois à des collecteurs de signatures payés à la pièce pour faire aboutir une initiative populaire ou une demande de référendum. Est-ce encore de la démocratie? Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, ils abordent des inconnus – parfois désagréables – pour récolter des signatures. Ce sont les travailleurs sans grade de la politique et ils sont de moins en moins souvent volontaires. Des entreprises proposent désormais des collectes de signatures contre rémunération, un service qui peut coûter jusqu’à deux francs par paraphe.
Il ne semble donc pas que la démocratie directe soit aussi parfaite que ses promoteurs tentent de nous le faire croire.
Pour preuve, l'association ”Modernisation Monétaire” (MoMo), envisage actuellement une plainte contre l’Administration fédérale. En effet, les informations officielles du Conseil fédéral, concernant la votation sur l’initiative Monnaie pleine, violent les exigences du Tribunal fédéral en matière d’explications des objets soumis à votation. Selon le Tribunal fédéral (ATF 138 I 61, p. 83), « au sens de l’intégralité de l’information, l’exigence d’objectivité interdit de supprimer des éléments importants dans les explications de vote pour la décisions des électeurs, de dissimuler des faits importants pour la formation d’opinions ou de relater faussement les arguments des comités référendaires ou d’initiative ». Sur cette base, les initiants envisagent une action judiciaire contre le Conseil fédéral. Ils sont également déçus que celui-ci refuse d’aborder les questions fondamentales que pose l’initiative. Ce faisant, le Conseil fédéral méprise manifestement l'institution de l'initiative populaire, ce qui heurte profondément la démocratie directe.
La démocratie directe est un processus souhaitable pour obtenir — autant que possible — un pouvoir politique équilibré dans notre société moderne. Mais encore faut-il avoir la franchise de discuter de ses faiblesses, comme de ses forces. Aucun parti politique au Québec ne doit proposer à ses membres la mise en place de la démocratie directe, sans faire étalage de ses tenants et de ses aboutissants. En tant que Citoyens, nous souhaitons tous reprendre une part de notre Pouvoir, mais il est toutefois primordial de demeurer réalistes et de ne pas se laisser envoûter par les marchands de sable.
Références :
- Confédération suisse : www.eda.admin.ch.
- Denis Masmejan : La démocratie directe fait-elle le lit du populisme?. Le Temps, 27 janvier 2017.
- Romain Rosso : Suisse: les limites de la démocratie directe. L'Express, 6 avril 2017.
- Le zoom de la rédaction : La démocratie suisse : un modèle ?. France Inter, 11 avril 2017.
- Sibilla Bondolfi : L’argent, c’est le pouvoir – même en démocratie directe. SWI swissinfo, 3 octobre 2017.
- Association ”Modernisation Monétaire” (MoMo) : Information trompeuse du Conseil fédéral. Le livret de votation est un livret de confusion. Initiative Monnaie Pleine, Wettingen, Suisse.
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