L'initiative Monnaie Pleine — Qui doit créer notre argent: Les banques privées ou la banque nationale ?
Par | Le 20/04/2018 | Commentaires (0)
Le « 100 % monnaie » (100% money) ou « monnaie pleine » est une proposition initiale de l'économiste américain Irving Fisher de 1935 qui consiste en un transfert de la création monétaire depuis les banques privées vers la banque centrale, en imposant aux banques commerciales des réserves de 100 % des dépôts monétaires, au contraire du système de réserves fractionnaires. En Suisse, l'Initiative « monnaie pleine » lancée par l'association Modernisation monétaire (MoMo) a obtenu en 2016 plus de 100 000 signatures, ce qui va provoquer une votation nationale sur ce sujet.
Le texte de l'initiative monnaie pleine, ne parle pas de couverture à 100 % de la monnaie scripturale des banques commerciales. Le mécanisme proposé par cette initiative est proche, mais n'est pas le même que 100 % monnaie. Il s'agit plutôt d'un côté de créer la monnaie centrale par extension de bilan sans contrepartie et de l'autre interdire aux banques commerciales d'intégrer dans leur bilan les comptes courants, mais pas les comptes d'épargne. L’Initiative « monnaie pleine » sera soumise au verdict populaire le 10 juin 2018.
Ce projet a été fortement défendu, entre beaucoup d'autres, par les économistes Maurice Allais, Milton Friedman et Christian Gomez (banquier et élève d'Allais) et dans une certaine mesure (narrow banking) par James Tobin pour défendre ce qui devrait être une prérogative de l'État et seulement de l'État : l'émission de toute nouvelle monnaie.
David Ricardo défendait cette même idée, lui qui écrivait « Supposons qu'il faille un million en argent pour préparer une expédition. Si le gouvernement émettait un million de papier-monnaie l'expédition se ferait sans qu'il en coûtât rien à la nation ; mais si en déplaçant ainsi un million d'argent monnayé, une banque faisait l'émission d'un million de papier, et qu'elle le prêtât au gouvernement a 7 pour cent, en déplaçant de même un million de numéraire, le pays se trouverait grevé d'un impôt perpétuel de 70 000 livres par an. La nation paierait l'impôt, la banque le recevrait, et la nation resterait, dans les deux cas, aussi riche qu'auparavant. L'expédition aura été réellement faite au moyen du système, par lequel on rend productif un capital de la valeur d'un million, en le convertissant en denrées, au lieu de le laisser improductif sous la forme de numéraire ; mais l'avantage serait, toujours pour ceux qui émettraient le papier ; et comme le gouvernement représente la nation, la nation aurait épargné l'impôt, si elle, et non la banque, avait fait l'émission de ce million de papier-monnaie. »
Il s'agit d'une réforme radicale du système bancaire fondée sur la dissociation entre la monnaie et le crédit. En août 2012, deux chercheurs du FMI publient un rapport soutenant cette proposition. En Angleterre, l'ONG Positive Money promeut cette idée sous le nom de "monnaie souveraine" depuis 2010.
Dans le monde moderne, il existe plusieurs types de monnaie :
- la monnaie centrale (monnaie de base), créée par la Banque centrale et prêtée aux banques commerciales. Elle comprend d’une part les espèces (pièces et billets) ou monnaie fiduciaire, mais aussi les réserves obligatoires que les établissements financiers doivent détenir dans une certaine proportion (1 % dans la zone euro depuis le 18 janvier 2012) du montant des dépôts qu’elles gèrent. Dans la zone euro, la BCE (Banque centrale européenne) ne peut prêter qu’aux établissements financiers (le « refinancement »), à un taux d’intérêt qu’elle ajuste en fonction de la conjoncture (0,05 % actuellement), mais la monnaie centrale peut ensuite être achetée par les agents non bancaires sous forme d’espèces ou monnaie fiduciaire ;
- la monnaie scripturale (monnaie secondaire) créée par les banques commerciales, par simple jeu d’écriture lorsqu’elles accordent un prêt à une administration, un particulier ou une entreprise, et qu’elles inscrivent le montant correspondant sur le compte de leur client, sans disposer nécessairement initialement de monnaie centrale ni de dépôts d’épargne. Cette forme de monnaie représente plus de 92 % du montant total des euros comptabilisés en tant que monnaie (Agrégat M3).
Notre argent. Notre sécurité. Notre avenir.
La monnaie pleine n’est pas une nouveauté. Nous la connaissons tous sous forme d’argent liquide. Elle est émise et garantie par la Banque nationale (billets de banque) et par la Confédération (pièces de monnaie) en tant que moyen de paiement légal. Mais aujourd’hui, 90 % de l’argent qui circule est de la monnaie scripturale virtuelle, que les banques créent elles-mêmes. Nous l’utilisons lorsque nous payons par voie « électronique », soit par e-banking ou par carte. Nos « avoirs en banque » ne sont donc que des promesses de paiement des banques. Nul ne sait dans quelle mesure ils nous serons remboursés en cas de crise bancaire. Nous avons pourtant tous droit à de l’argent sûr !
L’initiative Monnaie pleine garantit que notre argent sera toujours constitué de francs suisses sûrs, indépendamment de sa forme – pièces de monnaie, billets de banque ou monnaie scripturale électronique. Le peuple a remis le droit exclusif d'émettre les billets de banque à la Banque nationale en 1891 déjà. L’initiative Monnaie pleine étend ce système éprouvé à la monnaie scripturale, qui est aujourd’hui la plus utilisée, pour qu’elle devienne identique à l’argent liquide, mais sous forme électronique.
Seule la Banque nationale sera alors encore habilitée à créer notre franc suisse. Gardienne indépendante de la stabilité monétaire et financière, elle le mettra en circulation dans l’intérêt général du pays, comme le prévoit son mandat. Dans le cadre de sa politique de stabilité, la Banque nationale attribuera, sans dettes, l’argent nouvellement créé à la Confédération et aux cantons ou directement aux citoyens. Les bénéfices générés par la création monétaire profiteront ainsi à la collectivité tout entière.
L’approvisionnement des entreprises et des ménages en crédits sera garanti puisque la Banque nationale pourra continuer d’octroyer des prêts aux banques. Grâce à ses compétences nouvelles, la Banque nationale évitera toute pénurie de crédit ou pléthore d’argent. Elle pourra ainsi mieux protéger notre économie contre les crises financières.
La monnaie pleine rendra l’argent électronique aussi sûr que de l’argent liquide dans un coffre et servira de base solide pour notre économie. OUI à l’initiative Monnaie pleine !
Le FMI confirme les effets positifs de la réforme « Monnaie pleine »
Les économistes du FMI Michael Kumhof et Jaromir Benes ont examiné la réforme 'Monnaie pleine' sur toutes les coutures dans leur étude « Chicago Plan revisited ». Le Fonds monétaire international (FMI) se charge de la stabilité financière mondiale.
Dans leur résumé, les auteurs écrivent: « Au moment culminant de la Grande Dépression des années 1930, d'éminents économistes américains ont recommandé une réforme du système monétaire connue sous le nom de « Plan Chicago ». Il stipule de séparer la monnaie de la fonction de crédit dans le système bancaire par une réserve à 100% pour couvrir les dépôts. La création monétaire devrait être une affaire des pouvoirs publiques. Selon Irving Fisher (1936), ce plan offrirait les avantages suivants:
(1) Une amélioration significative du contrôle des fluctuations du cycle économique. Les augmentations et diminutions soudaines des prêts bancaires et de la création de monnaie scripturale seraient stabilisés.
(2) l'élimination complète du risque de « bank runs » (retraits massifs des dépôts).
(3) Une diminution drastique de la dette (nette) de l'État.
(4) Une diminution significative de la dette privée, car la création monétaire ne nécessiterait plus la création simultanée de dettes. »
Lors de la vérification scientifique basée sur des calculs de modèles économiques, les économistes du FMI ont confirmé ces quatre effets. En outre, ils ont pu démontrer deux avantages supplémentaires:
(5) des gains de production durables d'environ 10% par l'élimination ou la réduction d'une variété de distorsions telles que les risques de taux d'intérêt, la distorsion des impôts et une surveillance coûteuse de risques de crédit inutiles d'un point de vue macroéconomique.
(6) la réduction de l'inflation à zéro.
L'historique de la monnaie dans la deuxième partie de l'étude est également très intéressante. La controverse « contrôle étatique contre contrôle privé de la création monétaire » y est analysée. Les chercheurs du FMI arrivent à une conclusion claire et préconisent la création et le contrôle de la monnaie par le gouvernement. Dans le passé, cela a été fait principalement par émission des pièces de monnaie libre de dette. Aujourd'hui, il pourrait en être de même de l'argent électronique. Selon les économistes du FMI, il n'y a rien, dans l'histoire du monde antique et des pays occidentaux, qui justifie un refus de la création monétaire par les pouvoirs publics.
La 'Monnaie pleine' est une variante moderne du « 100% Money ». Les résultats de l'étude du FMI s'appliquent en conséquence. L'étude n'est pas une position officielle du FMI, mais il y a des contrôles stricts de qualité internes, et le travail a été publié par Douglas Laxton, le chef du service de recherche du FMI « Modélisation économique ».
L'étude du professeur Michael Kumhof et de Jaromir Benes peut être trouvée sur le site Web suivant : www.imf.org. Lors de la AMI Monetary Reform Conference à l'Université de Chicago (USA), le professeur M. Kumhof a expliqué la création monétaire par les banques et le mythe du «multiplicateur de dépôt» avec une présentation PowerPoint : The Chicago Plan Revisited. Une sélection d'articles de presse sur l'étude du FMI sont disponibles ici.
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