Le Barreau demande aux tribunaux d'invalider les lois ou les règlements du Québec au motif qu'ils sont inconstitutionnels
Par | Le 18/04/2018 | Commentaires (0)
Le Barreau du Québec et celui de Montréal demandent aux tribunaux d'invalider les lois ou les règlements adoptés par le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale au motif qu'ils sont inconstitutionnels.
Dans une procédure déposée au palais de justice de Montréal vendredi, l'ordre professionnel des avocats et sa branche montréalaise affirment que le processus d'adoption des lois par le législateur québécois n'est pas conforme à la Constitution canadienne.
L'adoption des textes législatifs devrait se faire simultanément en français et en anglais, fait valoir la procédure d'une vingtaine de pages signifiée par le cabinet Jeansonne Avocats inc. au président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, et à la procureure générale du Québec, Stéphanie Vallée.
Or, ce que l'Assemblée nationale fait présentement, note la demande introductive d'instance, est d'établir un processus législatif pratiquement unilingue suivi d'une traduction à la toute fin du processus d'adoption.
« Par conséquent, les lois, les règlements et les décrets adoptés par le Parlement du Québec ainsi que les règlements pris par le gouvernement du Québec sont donc inconstitutionnels, nuls, inopérants et sans effet dans leur entièreté, car ils ont été adoptés en vertu d'un processus législatif et réglementaire qui viole les garanties prévues à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. »
Selon les demandeurs, cette manière d'adopter des lois engendre plusieurs incohérences dans le contexte où les versions anglaise et française doivent avoir la même valeur juridique.
Ils demandent donc à la Cour supérieure du Québec d'invalider toutes les lois qui n'ont pas été adoptées de manière conforme à la Constitution, sans toutefois préciser combien de lois seraient visées et depuis quand. Ils demandent aussi de suspendre l'effet du jugement pour un an et demi afin de permettre à Québec d'adopter une procédure conforme.
Ils souhaitent enfin que la Cour détermine le délai raisonnable pour que le « Parlement du Québec adopte, imprime et publie toutes les lois du Québec ».
S'ils n'ont pas gain de cause, les demandeurs réclament qu'à tout le moins, le Code de procédure civile (C.p.c.) du Québec soit déclaré « inconstitutionnel, inopérant, nul et sans effet ».
Aux bureaux de la ministre Vallée et du président Chagnon, on a refusé vendredi de réagir au dépôt du recours : « Nous avons été informés qu'une demande introductive d'instance a été signifiée ce matin. Nous en prendrons d'abord connaissance avant de la commenter davantage », a déclaré une porte-parole de la ministre par courriel.
« Le gouvernement du Québec respecte ces obligations constitutionnelles. On ne partage pas du tout l’opinion tant du Barreau de Montréal que du Barreau du Québec. On va donc faire valoir nos arguments devant les tribunaux pour contester les allégations qui se trouvent dans la requête », a déclaré la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.
Pour défendre leur position, les demandeurs reviennent sur l’adoption du Code de procédure civile en 2014. « La ministre de la Justice contourne la législature, modifie le droit substantiel et écarte le Parlement du Québec du rôle qui lui revient », peut-on lire dans le document déposé au palais de justice de Montréal.
Une « insulte aux parlementaires », plaide le PQ
Véronique Hivon est « estomaquée » par la requête du Barreau du Québec et de sa branche montréalaise qui profèrent une « insulte aux parlementaires québécois » en s'adressant aux tribunaux pour faire invalider les lois qui ont été adoptées de façon « pratiquement unilingue » en français, ce qui ne serait pas conforme à la Constitution canadienne, jugent-ils.
La porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice et vice-cheffe du Parti québécois (PQ) juge que le Barreau « met ainsi en cause les droits constitutionnels des parlementaires de pouvoir oeuvrer et légiférer dans la langue de leur choix ».
Voici l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 sur lequel se base la poursuite :
Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
Un membre du site Reddit, répondant au pseudonyme kchoze, écrit :
« Rien dans l'article en soi ne précise que le français et l'anglais doivent avoir la même importance au Parlement, il dit seulement que les deux langues peuvent être utilisées au Parlement et que le Parlement doit publier ses décisions dans les deux langues. Seuls les Parlements du Québec et d'Ottawa sont soumis à cette règle. L'idée que cela implique que les débats doivent se faire dans les deux langues et que les lois soient adoptés simultanément en français et en anglais est apparemment une idée que les juges de la cour suprême ont sorti en 1979 pour attaquer la Charte de la langue française qui spécifiait que la version française de la loi primait sur la traduction anglaise (Proc. Gén. du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 RCS 1016).
« Bref, un autre cas où des juges biaisés et partisans nous pourrissent la vie. Leur décision ici est particulièrement stupide qu'il est très difficile pour un texte d'avoir le même sens exact dans une langue comme dans l'autre. Quiconque parle plus qu'une langue sait qu'il n'est pas toujours possible de garder le sens exact des phrases dans une langue et dans l'autre, la traduction nécessite une interprétation. Donc dire qu'il faut que les deux langues aient le même statut légal est complètement impraticable dans la vie. La décision des juges qui voulait priver le Québec du droit de dire que la version française prime a créé un critère d'équivalence impossible à remplir. C'est à quel point les juges ont fait les cons dans le cas présent. »
« L'article 133 LC 1867, tel qu'interprété par la jurisprudence, exige que les lois du Québec, tout comme celles du Parlement du Canada et des assemblées législatives du Manitoba et du Nouveau-Brunswick, soient adoptées dans les deux langues. Ce n'est pas ce que fait l'Assemblée nationale. »
En effet, les deux barreaux affirment que l’Assemblée nationale établit un processus législatif pratiquement unilingue, suivi d'une traduction à la toute fin du processus d'adoption : « La version anglaise du C.p.c. (Code de procédure civile du Québec) n'est pas l'oeuvre du législateur, mais plutôt le fruit de l'interprétation qu'en ont fait les traducteurs de l'Assemblée nationale, font-ils valoir. Elle n'exprime pas la volonté du législateur, car le législateur n'a jamais étudié la version anglaise du C.p.c., puisqu'une version à jour n'était pas disponible lors du processus législatif, entre le dépôt du projet de loi le 30 avril 2013 et son adoption le 20 février 2014. »
Dans l'arrêt du Procureur général du Québec c. Blaikie [1979] 2 RCS 1016, la Cour suprême écrit ceci : « Les articles 8 et 9 de la Charte de la langue française, reproduits plus hauts, ne sont guère conciliables avec l’art. 133 qui ne prévoit pas seulement mais exige, qu’un statut officiel soit reconnu à l’anglais et au français dans l’impression et la publication des lois de la législature du Québec. On a soutenu devant la Cour que cette exigence ne vise pas l’adoption des lois dans les deux langues, mais seulement leur impression et leur publication. Cependant, si l’on donne à chaque mot de l’art. 133 toute sa portée, il devient évident que cette exigence est implicite. Ce qui doit être imprimé et publié dans les deux langues, ce sont les «lois», et un texte ne devient «loi» que s’il est adopté. Les textes législatifs ne peuvent être connus du public que s’ils sont imprimés et publiés lors de leur adoption qui transforme les projets de loi en lois. De plus, il serait singulier que l’art. 133 prescrive que «dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux» des Chambres de la législature du Québec (il y en avait alors deux) l’usage de l’anglais et du français «sera obligatoire» et que cette exigence ne s’applique pas également à l’adoption des lois. »
Références :
- Hugo de Grandpré : Le Barreau veut faire invalider les lois du Québec. La Presse, 16 avril 2018.
- Delphine Jung : Les barreaux veulent invalider les lois québécoises !. Droit-Inc.com, 16 avril 2018.
- Hugo Pilon-Larose : Requête du Barreau: une «insulte aux parlementaires», plaide le PQ. La Presse, 16 avril 2018.
- Reddit : Le Barreau veut faire invalider les lois du Québec. 16 avril 2018.
- Kevin Dougherty : Quebec Bar Association says all the province’s laws are unconstitutional. iPolitics, 16 avril 2018.
- Mark Cardwell : Barreau du Québec files bombshell motion. Canadian Lawyer, 17 avril 2018.
- Hugo Pilon-Larose : Un programme fédéral finance le recours du Barreau contre Québec. La Presse, 18 avril 2018.
- Josée Legault : Les colonisés du Barreau. Journal de Montréal, 18 avril 2018.
- Delphine Jung : Requête des barreaux : un avocat lance une pétition. Droit-Inc.com, 18 avril 2018.
- Joseph Facal : Le Québec est un éternel radotage. Journal de Montréal, 19 avril 2018.
- Josée Legault : Les colonisés du Barreau (suite). Journal de Montréal, 19 avril 2018.
- Richard Le Hir : J’ai honte ! Le fédéral fait faire son sale boulot par le Barreau qui se met prestement à son service. Vigile Québec, 20 avril 2018.
- Antoine Robitaille : La ridicule bombe nucléaire du barreau. Journal de Montréal, 21 avril 2018.
- Bloc Québécois : Recours judiciaire du Barreau du Québec : le Canada viole sa propre Constitution. 23 avril 2018.
- Martine Ouellet : Dans sa guérilla judiciaire financée par le Canada, le Barreau du Québec vise l’invalidation de toutes les lois du Québec au motif que l’Assemblée nationale ne serait pas assez « bilingual ». Facebook, 25 avril 2018.
- Jugement de la Cour suprême du Canada du 13 juin 1985.
- Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, 1985, 1 RCS 721, Cour suprême du Canada.
- Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba du 23 janvier 1992.
- Arrêt du Procureur général du Québec c. Blaikie [1979] 2 RCS 1016.
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