Les Patriotes exilés et déportés de 1838 et 1839
Au printemps de 1838, les prisonniers politiques de la première rébellion de 1837 n'avaient toujours pas été jugés et Durham, envoyé spécial de la Métropole en mission d'enquêteur, ne savait comment procéder. S'il leur faisait subir un procès en bonne et due forme il savait qu'un jury anglais les condamnerait à la peine capitale, qu'un jury canadien les acquitterait et qu'un jury mixte n'arriverait jamais à s'entendre.
Aussi, fit-il signer un aveu de culpabilité par les Patriotes les plus actifs; par ce papier huit hommes se remettaient sans condition entre les mains du nouveau gouverneur, acceptant à eux seuls le blâme collectif. Se prévalant de cet aveu quelques jours plus tard, le gouverneur condamnait à l'exil les huit signataires : Dr Wolfred Nelson, Robert Shore Milnes Bouchette, Siméon Marchessault, Toussaint Hubert Goddu, Dr Henri Alphonse Gauvin, Bonaventure Viger, Rodolphe Desrivières et Dr Luc Hyacinthe Masson.
L'ordre d'amnistie du 28 juin 1838 de Lord Durham condamna seize patriotes qui s'étaient réfugiés aux États-Unis à rester sur le sol étranger leur interdisant de rentrer dans leur pays sans une permission spéciale du gouverneur ; ils étaient passibles de peine de mort s'ils reparaissaient dans la province sans être munis d'une telle permission. Les seize ainsi frappés d'exil :
Louis Joseph Papineau, Robert Nelson, docteur, Georges Étienne Cartier, Ludger Duvernay, Thomas Storrow Brown, E B O'Callaghan, E E Rodier, Cyrille Côté, Louis Perreault, Julien Gagnon, Étienne Chartier prêtre, John Ryan père, John Ryan fils, Pierre Paul Desmarais, Joseph François Davignon, docteur et Louis Gauthier.
Cinquante-huit Patriotes furent déportés en Australie le 27 septembre 1839; toutes leurs propriétés furent saisies aussitôt et mises en vente. Leur retour au Canada s'effectuera entre 1844 et 1848 (Mémoire du Québec).
Les exilés en Australie
L'Australie est, au moment des troubles dans le Bas-Canada, une colonie britannique. À cette époque, les Européens sont concentrés dans la partie sud, la Nouvelle-Galle du Sud. Des aborigènes peuplent déjà l'immense île et les Anglais cherchent à y établir des Blancs. Pour ce faire, l'Australie devient une colonie pénitentiaire. « Celle-ci, peuplée en 1788 de 1500 hommes dont 800 forçats (repris de justice, opposants irlandais), fut suivie de plusieurs autres jusqu'en 1840. » (Robert 2, 1999, 150). Comme tout est encore à bâtir, l'activité économique se centre sur l'aménagement du territoire par d'immenses chantiers. Il y a beaucoup de coupe de bois, d'exploitation de carrières ainsi que de construction de route ou travaillent les détenus sous la responsabilité de commerçants anglais. Les activités portuaires occupent aussi un rôle important à Sydney. Les religions catholiques et anglicanes sont présentes dans l'île.
Du 28 novembre 1838 au 1er mai 1839, 14 procès ont eu lieu dans le Bas-Canada en lien avec les Rébellions. Le gouverneur de l'époque, Colborne a traité en justice 108 accusés. De ce nombre, 9 furent acquittés et 99 condamnés à mort. Par la suite, 12 ont été pendus, 2 bannis du pays, 27 libérés sous caution et 58 ont été déportés. Ces derniers sont emprisonnés et le 25 septembre 1839, ils reçoivent la nouvelle qu'ils devront s'exiler en Australie.
Les adieux à la famille et aux amis sont très brefs puisqu'ils quittent le pays le 28 du même mois. Du voyage, on retrouve aussi 83 prisonniers politiques du Haut-Canada. Le trajet, qui dure plus de cinq mois sans escale, se fait dans des conditions exécrables. « On devait garder le silence le plus absolu pendant la nuit. Il était défendu de communiquer, en aucun temps, les uns avec les autres, d'un côté à l'autre des logements, et nul ne pouvait aller aux lieux d'aisance,..., sans la permission du sentinelle. » (Prieur, 1838, 150). Du nombre, un seul, venant du Haut-Canada, meurt durant le voyage. Le 16 février 1840, les prisonniers du Haut-Canada débarquent à Hobart et le 25 février, le reste des occupants arrivent devant Sydney. Ils font la rencontre de Monseigneur Polding qui leur permet de s'installer à Longbottom. Ils s'installent donc dans le camp sous la direction de Baddely. Ils ont au départ la tâche de construire la route de Sydney à Parramatta. Par la suite, ils connaissent plus de liberté et les exilés peuvent travailler pour les habitants qui les logent, les nourrissent et leur versent une petite rémunération. À partir de février 1842, les prisonniers sont libres et peuvent obtenir la citoyenneté du pays. La majorité respecte les lois imposées et certains possèdent même de petits commerces.
« En avril 1844, 5 Canadiens ont reçu leur pardon complet. Le 24 juin de la même année tous les autres exilés avaient reçu les documents les déclarant hommes libres. » (Bergevin, 1991, 27). Pour retourner au Canada, ils doivent payer leur voyage jusqu'à Londres. Donc, le 8 juillet 1844, 38 patriotes peuvent quitter l'Australie. Les autres infortunés le feront plus tard. De Londres, ils se dirigent vers New York où ils débarquent le 13 janvier 1845. Les frais de cette partie du voyage ont été défrayés par l'Association de la Délivrance de Montréal.
Des 58 exilés du départ, un s'y établit définitivement (Marceau) et deux sont morts (Gabriel Ignace Chèvrefils et Louis Dumouchel) « ils ne relevèrent pas de leurs maladies; tous deux sont morts sur la terre étrangère. » (Prieur, 1884, 159). Les patriotes déportés ont laissé leur trace en Australie puisqu'on retrouve dans le région de Longbottom et de Sydney, Marceau road. De plus, les baies de la région portent des noms comme France Bay, Exile Bay et Canada Bay et un monument est érigé en leur honneur. Ce dernier fut érigé en 1970 par le Premier ministre du Canada de l'époque soit Pierre-Elliot Trudeau. Finalement, les déportés canadiens ont inspiré divers ouvrages australiens.
Sources — Les Patriotes de 1837@1838 (Gilles Laporte) :
- Renald Dion : 3 juillet 1838 - Huit chefs Patriotes sont exilés aux Bermudes... (1 août 2000).
- Stéphanie Beaupied : La vie des exilés en Australie (19 mai 2001).
- Stéphanie Beaupied : Le voyage des exilés à bord du Buffalo (19 mai 2001).
15 février 1839 – Long métrage, drame historique
Le roman de Jules Verne intitulé « Famille-Sans-Nom »
Le célèbre écrivain Jules Verne a écrit un roman portant sur la rébellion des Patriotes intitulé « Famille-Sans-Nom » : Le Canada francophone est sous le régime du Royaume-Uni depuis le traité de Paris de 1763. Un homme prépare différents soulèvements successifs contre les injustices britanniques. Cet homme ne révèle à personne son nom de famille, même à ses partisans les plus proches ; il se fait appeler Jean-Sans-Nom. Il a un terrible secret…
Écrit en 1887 le livre illustre la vie d'une famille du Bas-Canada pendant la rébellion des Patriotes. Le roman est paru en édition grand format illustré chez HETZEL en 1889, en deux parties. Ce livre ne se termine pas de façon heureuse. En parlant de la période de 1837-1838, Jules Verne voulait rappeler à ses compatriotes les problèmes qu'avait la communauté française au Québec à l'époque de la sortie de son livre, en 1888. Le ton de son livre s'en ressent : on n'y retrouve pas son sens du suspense, et très peu de son humour habituel.
Le roman, écrit en 1887-1888, paraît d'abord en feuilleton dans le Magasin d'éducation et de récréation du 1er janvier au 1er décembre 1888, puis en édition grand format illustrée chez Hetzel en 1889, en deux parties.
La préface et la postface de l'une des éditions françaises sont de Francis Lacassin. La préface s'intitule « Jules Verne ou le Socialisme clandestin ». Il essaie d'expliquer toute la complexité des différents aspects de Jules Verne : par certains côtés, on pouvait le classer parmi les conservateurs, par d'autres, on pouvait le classer comme anarchiste. Dans la postface, Lacassin rappelle l'historique du Québec. Il parle notamment de la déportation des Acadiens en 1755, ce qu'on a appelé le « Grand Dérangement ». Selon les chiffres de Lacassin, un tiers des déportés moururent.
La première réimpression du roman est québécoise. Elle date de 1970, contient toutes les anciennes images de l'édition Hetzel. Elle est préfacée par Jean Chesneaux qui y perçoit l'intérêt de Jules Verne pour les peuples coloniaux, présents dans de nombreux romans de l'écrivain. Dans une autre réédition québécoise publiée en 1978 dans la collection Québec 10 sur 10 sous la direction de Jeanine Féral, la préface s'intitule « Le Voyage de Jules Verne au Canada » et n'est pas signée. On peut présumer que c'est Jeanine Féral qui l'a rédigée puisque cette édition a été réalisée sous sa direction. La couverture porte la mention « 1837…les patriotes…le Québec », au-dessus du titre. Dans l'édition de 1978 publiée par l'Union générale d'éditions, il est inscrit sur la couverture « Pour le Québec libre ». Il s'agit d'une référence anachronique (sans doute dans un but publicitaire) à la phrase célèbre du général de Gaulle prononcée en 1967.
Le roman fut adapté plusieurs fois pour la scène. En 1897, une première tentative par Georges Bastard (1851-1914) échoua. En 1902, Théo Bergerat monta la pièce au Théâtre du Château d'Eau. En 1903, Germain Beaulieu produisit une adaptation du roman en un drame de six actes et un prologue, au Théâtre national du Québec. Enfin, en 1913, A. Jacques Parès publia Trahison ou Simon Morgaz, drame historique en un acte.