Etats-Unis : le français fait son retour en Louisiane
Par | Le 19/03/2018 | Commentaires (0)
Le français en Louisiane est parlé par la population francophone de Louisiane.
Issue, en partie, des ancêtres franco-canadiens et français de Nouvelle-France, mais aussi des immigrés espagnols, italiens, allemands, irlandais, et haïtiens, la population louisianaise constitue un cas sociolinguistique intéressant. Face aujourd’hui à l’anglicisation provoquée par l’envahissement du substrat anglophone, les cajuns et créoles de la Louisiane continuent de mener le combat contre l’assimilation linguistique, lequel dure depuis maintenant plus de 300 ans.
L’État américain actuel de la Louisiane se trouve au sud des États-Unis et partage sa frontière avec les États du Texas, de l’Arkansas et du Mississippi et au sud s'ouvre sur le golfe du Mexique. Ce territoire, initialement habité par des peuples amérindiens, devient en 1682 une colonie française. La population autochtone est alors le sujet d’un processus d’assimilation linguistique, et acquiert, petit à petit, la langue des colonisateurs : le français. Il s'agit donc d’une implantation de langue exogène à l’arrivée du français dans le pays du Mississippi.
La période de la colonisation française
Il semble que le territoire était déjà connu des Espagnols, mais les informations sont vagues. Cependant, c’est au royaume de France qu’il sera attribué après le voyage déterminant de Robert Cavelier de la Salle, commissaire français provenant de la Nouvelle-France, en 1682. L’objectif de son premier voyage étant de découvrir de nouvelles routes qui pourraient donner accès au golfe du Mexique, la Salle « découvre » alors un lieu qui se prête à la fondation d’une nouvelle colonie. Cependant, lorsqu'il cherche à regagner le territoire pour fonder la colonie, « il ne reconnaît pas l’embouchure du Mississippi et s’égare beaucoup plus loin […] au Texas. » Ce n’est qu’en 1698, une décennie plus tard, que des Canadiens français lancent une deuxième tentative de colonisation. Cette fois-ci tout se passe comme prévu et l’aventure s’achève avec la fondation de Biloxi (1698), Mobile (1701) et de la Nouvelle Orléans (1718) par Pierre le Moyne d’Iberville. La présence de la langue française est donc effective depuis les premières fondations de ce qui deviendra finalement les États-Unis.
Les colons ne tardèrent pas à s’y implanter. Venant en grande partie de la France et de la Nouvelle-France, la langue française s’utilise entre ces deux peuples. Pourtant, il n’y a pas que des francophones, et il ne faudrait pas supposer une homogénéité.
« Mélangée à l’extrême dès l’origine, la population de Louisiane n’a aucune cohérence ethnique ni linguistique, et il est permis de supposer que la toute jeune Nouvelle-Orléans présente déjà un aspect bigarré : esclaves noirs, Indiens, Allemands, Français y cohabitent plus ou moins harmonieusement. Quand on sait à quel point les peuplades indiennes sont elles-mêmes hétérogènes, on juge de la confusion qui peut régner alors dans le domaine culturel. »
Cependant, le français conservait une place de valeur parmi les langues diverses, car il restait néanmoins la langue de la nation colonisatrice.
Le français sous la colonisation espagnole
Moins de cent ans après la première arrivée de Cavelier de La Salle, la France céda sa colonie à l’Espagne en 1763. Cependant ce n’est qu’en 1768-1769 que cette occupation sera effective. Les Louisianais veulent rester français, en 1768 lors de l’arrivée d’Antoni d’Ulloa, gouverneur espagnol, la « population de la Nouvelle-Orléans conduite par le Conseil Supérieur de la Louisiane, se soulève et le chasse ». Les administrateurs espagnols, craignant de nouvelles insurrections, permettent à leur peuple d’adoption de continuer à parler le français.
Non seulement permirent-ils aux Louisianais de parler la langue de la France, mais ils adoptèrent un programme d’immigration qui favorise l’utilisation de cette langue. La prépondérance du français « fut renforcée par deux types d’immigration ; l’arrivée des Acadiens et celle, plus tardive, des Créoles venus des îles ». Entre 1765 et 1785, un grand nombre d’Acadiens avaient été expulsés du Canada lors du Grand Dérangement. Cette communauté francophone, exilée pour des raisons largement linguistiques, retrouva en Louisiane la langue de sa patrie. Quant aux Créoles, ils étaient en grande partie des réfugiés de Saint-Domingue qui cherchaient à s’installer dans un lieu à la fois stable et francophone, ce qu’ils trouvèrent en Louisiane.
L’école publique étant en langue espagnole, « les Louisianais, francophones dans leur immense majorité, préféraient envoyer leurs enfants dans des écoles paroissiales, généralement confiées aux prêtres. Les plus fortunés continuaient à engager des tuteurs français ». Il y avait également une présence considérable d’écoles privées françaises, que Griolet estime au nombre de huit dans les environs de la Nouvelle-Orléans en 1788, ce qui démontre encore le prestige détenu par la langue française. « Au total, l’enseignement s’était développé en Louisiane, sous la domination espagnole, au profit de la langue française qui en sortait à tous les égards renforcée ».
Comme la scolarité privilégiait le français, on trouve à cette époque toutes les marques d’une culture littéraire en langue française. La première imprimerie installée à la Nouvelle-Orléans fut une « imprimerie du roi », établie à la fin de 1763. De ces imprimeries françaises émanaient des ouvrages en français, et c’est à ce moment que les premiers journaux français apparaissent en Louisiane, dont Le Courrier du Vendredi en 1785 et le Moniteur de la Louisiane en 1794. Ces dates révèlent qu’en pleine période espagnole, cette langue à laquelle les Louisianais tenaient avec autant d’ardeur n’était pas qu’une langue orale, mais qu’elle était également une langue écrite. Ainsi on peut parler du français comme d’un idiome qui transcende la période espagnole et qui sert toujours de lingua franca lorsqu’en 1803 la colonie redevient française.
L’État américain
Aujourd’hui lorsqu'on parle de l’achat de la Louisiane par les États-Unis en 1803, il est largement reconnu que ces derniers l’acquièrent de l’empereur Napoléon Ier et de l'Empire français. Effectivement, la Louisiane était redevenue, pendant une période qui dura à peine trois années, un territoire français. « En 1800, à cause des initiatives de Napoléon en Espagne, tous les territoires cédés à l’Espagne auparavant sont revenus sous contrôle français ».
La Louisiane antebellum
Il faudra attendre huit ans, de 1803 à 1812, pour que le nouvellement créé Territoire d'Orléans (qui ne couvrait que l'extrémité sud de l'immense Louisiane française) devienne l’État de Louisiane. La constitution des États-Unis aura un effet non seulement sur la dénomination de l’État mais aussi sur sa langue. Ce n’est qu’une fois qu’elle fut intégrée aux États-Unis que l’effet d’anglicisation se déclencha véritablement. « En effet, les Anglo-Saxons se trouvent dans la double position de maîtres du pays (administrateurs, officiers et soldats) et de nouveaux immigrants ». Toutefois, il est convenable de parler du français avant la guerre de Sécession, ou antebellum, comme d’une situation de bilinguisme, et non pas de diglossie, car les deux langues dominantes coexistent sans qu’elles soient attribuées à des emplois ou des statuts mutuellement exclusifs.
Pour répondre aux besoins d’une population majoritairement française, la « législature sera, elle aussi, à prédominance française », traduisant jusqu’à quel point le français conservait sa place d’égalité vis-à-vis à l’anglais. Comme l’expliqua Griolet, celui qui parlait les trois langues de la Confédération était d’une utilité considérable car on était dans une époque où « la population […] est essentiellement française, les textes officiels espagnols et le gouvernement anglais [sic] […] ». Pourtant, on comprend que l’espagnol n’ait jamais réussi à s’implanter comme langue vernaculaire et que c’est le bilinguisme anglais-français qui régnait en Louisiane. C’est sur ce sujet qu’écrit le maire de la Nouvelle-Orléans au Président Jefferson : « J’oserais vous le représenter, Monsieur le Président, il est indispensable que les chefs de la Louisiane possèdent la langue française comme la langue anglaise. »
C’est peut-être pour cela que la Nouvelle-Orléans devint une agglomération attirante pour tout peuple francophone. Parmi cette population on retrouve l’importance de ce qu’on appelle la langue créole à base française, langue qui mélangea le français, bien entendu, avec d’autres idiomes locaux. Le créole arriva surtout avec des peuples provenant des Caraïbes, mais pas exclusivement. De nombreux spécialistes estiment que les esclaves emmenés d’Afrique ont eux aussi formé des créoles à bases française. Pendant quelque temps la langue créole a pu s’épanouir, mais puisque c’était une époque de racisme inhérent à la société, ces langues créoles, associées aux peuples noirs ou mixtes, étaient victimes d’une stigmatisation indubitable. Néanmoins, on peut constater que de façon générale « le français parlé à la Nouvelle-Orléans, surtout parmi les gens cultivés, a évolué dans une meilleure harmonie avec le français métropolitain que celui du Canada […] ». Cependant, le prestige de la langue française s’acheva en parallèle avec la période antebellum, car « […] les liens entre la France et la Louisiane, surtout à la Nouvelle-Orléans, continuent à demeurer fortes […] jusqu’au début de la guerre civile (1861). »
La Louisiane postbellum jusqu’à la période moderne
Suivant la guerre de Sécession, c’est-à-dire dans l’Amérique postbellum, la langue anglaise commença à exercer une véritable domination linguistique en Louisiane. Le processus d’assimilation linguistique qui avait deux siècles auparavant favorisé le français par rapport aux langues amérindiennes ainsi qu’aux autres langues d’immigrés, s’était maintenant tourné contre la francophonie. Avant la guerre civile, la plupart des anglophones habitaient le territoire nord de l’État mais au fur et à mesure (et surtout postbellum) une société anglophone s’établit dans le sud. De plus, la volonté du gouvernement fédéral de neutraliser, dans les États du Sud, la non-conformité linguistique fait que les Louisianais sentaient non seulement une présence anglaise, mais aussi que cette présence leur était hostile du point de vue de leur langage. Malheureusement, comme l’expliqua Picone, les « centres urbains tels que la Nouvelle-Orléans et Bâton Rouge étaient plus susceptibles » aux effets de l’anglicisation et petit à petit, « adoptent une infrastructure anglocentrique ».
On note que la domestication linguistique s'appliquait non seulement au code oral de ces dialectes, mais aussi au code écrit. Les marques de la culture littéraire, autrefois nombreuses, se dissolvent elles aussi avec le temps. Alors que la Louisiane comptait, lors de son paroxysme, 33 « journaux et périodiques de langue française […] le dernier, L’Abeille, cessa de publier en 1923 ». Comme le dit Patrick Griolet :
« [L]a guerre de Sécession donna un coup de fouet passager à la langue française. Seul un système souple, aussi décentralisé que la Confédération du Sud, pouvait maintenir la langue d’une minorité. Pendant une courte période l’établissement de Louisiane connut un authentique bilinguisme. […] La victoire du Nord assura le coup de grâce. Le français cessa d’être langue officielle : tous les subsides législatifs furent retirés. Malgré l’amendement de Victor Olivier en 1879, introduit dans la Constitution de 1898, l’enseignement français ne s’en releva pas. »
Par contre, il est un domaine où le français maintiendra pendant longtemps sa force : la religion. Malheureusement, ceci est généralement vu comme ayant eu des effets néfastes sur le français. Il est donc convenable de parler d’un système de diastratie qui affaiblit la langue française et la réduit à certains usages familiers. Conséquemment, le français fut remplacé par l’anglais et devint, au fur et à mesure, une langue dévalorisée.
Le peuple francophone d’aujourd’hui : les créoles et les cajuns
Il existe aujourd’hui, malgré une disparition quasi totale des monolingues français, deux termes ethniques et linguistiques qui regroupent les peuples ayant des liens historiques avec les dialectes locaux français : créoles et cajun. Ceux-ci intègrent tous les deux des peuples provenant d’ethnies variées (Français, Espagnols, Irlandais, Anglais, Africains, Allemands, Amérindiens, etc.). Surtout, cajun et créole renvoient à une relation ancestrale (mais non indispensable) à l’utilisation de la langue française.
Malgré les répercussions nuisibles de l’anglais en Louisiane, les peuples cajuns et créoles ont réussi à conserver les derniers vestiges de la civilisation française aux États-Unis. Dans chacun des cas suivants, les groupes ont subi des changements au cours de leur histoire.
Plusieurs groupes ont entrepris de recueillir des données statistiques sur les locuteurs francophones aux États-Unis. Les résultats montrent que le nombre de personnes parlant français s’élève aujourd’hui entre un millier et quelques millions de locuteurs. Alors que ceci peut paraître un nombre important, le véritable problème est celui de la transmission d’idiomes locaux.
Malheureusement trop de Louisianais ont connu la stigmatisation de la langue française, et pour cette raison, n’ont pas transmis leur langue à leurs enfants. D’ailleurs, non seulement ils ne cherchent pas à la transmettre, mais ils s’en servent souvent comme « langue secrète » entre adultes. En explorant, de façon synchronique, les lieux des domaines public et privé où le français se manifesta le plus souvent nous démontrerons son usage comme étant entièrement diaphasique et diastratique, ainsi que les conséquences de ceci sur la valeur attribuée aux dialectes louisianais.
Alors que l'emploi du français à la maison, au travail, à l’église et à l’école fournit une image assez sombre de l'avenir de cette langue, il ne faut point négliger le domaine de la culture, où le français continue à conserver une place non négligeable. Déjà on peut évoquer la popularité de la musique créole Zydeco, ainsi que de la musique cajun folk. Même si elles ne sont pas chantées entièrement en langue française, ces chansons démontrent l’importance traditionnelle que le français occupe. Pour le moment, il n’existe pas beaucoup de littérature cajun ou créole de la Louisiane, mais il existe une riche collection d’histoires et récits traditionnels qui « attestent de façon irréfutable la survivance francophone au XXe siècle ». Ces derniers se chantent ou se content pour la plupart dans des situations que l'on peut qualifier de familières, par exemple lors des noces ou des fêtes familiales, ce qui témoigne du fait qu’ils ont surtout une valeur folklorique et s’utilisent dans un cadre limité. Comme cette culture est surtout orale, il faudra voir si elle continuera à survivre auprès des générations à venir ou si elle aussi se perdra petit à petit.
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